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BIOGRAPHIE |
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Le chiffre secret des choses
"Gilles Alfera est de ces hommes qui savent se faire légers à la terre qui les porte, il est de ceux qui savent l'aimer, aller au delà des premières apparences, inviter à ce voyage qui nous entraîne au plus profond des êtres et des choses vers leur vie tranquille (nous disons nature morte mais la langue anglaise, elle, parle de vie tranquille).
Par cette seule force de l'attention aimante il donne aux paysages quotidiens, aux courbes des collines, aux hameaux endormis, cette dimension universelle qui nous invite à la contemplation, au chant intérieur. Dans ces toiles il n'y a pas de limites qui nous enfermeraient : elles sont portes ouvertes sur d'autres horizons, invitation au voyage, à la rencontre, au partage dans la paix et la sérénité. Curieusement, alors qu'aucune figure humaine ne parcourt ses oeuvres, elles sont étrangement habitées : cette terre qu'il nous présente est une terre dont l'homme n'est jamais absent. Elle est cultivée, ordonnée, elle porte sa trace, c'est une terre qui baigne dans la lumière d'un jour éternel, celle du huitième jour."
Vingt ans se sont écoulés depuis la rédaction de ces lignes dont il n’y a rien à retirer ou à modifier. L’actualité de ces notes ne doit rien à quelque don particulier : il suffisait de voir ou plutôt de regarder, d’entrer en communion avec cette jubilation profonde qui transparaît dans toute l’œuvre du peintre, de se laisser « enchanter », au sens le plus fort du terme, par le travail de Gilles Alfera, une quête qui se poursuit fidèlement depuis près de trente ans. Fidèlité, c’est sans doute un des mots les plus justes pour tenter de rendre compte de ce lien qui semble se renforcer d’année en années entre le peintre et ce monde dans lequel nous vivons trop souvent sans le voir.
Mais il y a aussi - et c’est peut-être par cela qu’il nous touche le plus profondément comme un héritage du Pauvre d’Assise qui se manifeste dans le dépouillement caractéristique qui éclate dans chacune de ses créations. Ce n’est pas un hasard si le Cantique des Créatures semble inspirer ses toiles ou ses gravures (de magnifiques gravures de peintre !). Car il n’y a nulle possession dans le regard de cet homme mais simplement la passion de la vérité des êtres et de la Création, recherche et accueil de ce chiffre secret des choses selon la belle expression de Lanza del Vasto. La symphonie de couleurs et de traits qui nous est offerte, cet accord parfait entre ces couleurs jubilatoires se déploient dans une cheminement qui conduit à l’essentiel,
Il y a une ascèse qui se manifeste dans la démarche de Gilles Alfera. Comment, sans elle, pourrait-il atteindre à ce dépouillement qui nous livre ces clés de déchiffrement : elles nous ouvrent des perspectives insoupçonnées et nous permettent de voir le monde autrement, de découvrir dans les formes qui nous entourent et les couleurs qui s’offrent à nos regards un reflet de cette beauté trop souvent bafouée. Les créations de Gilles Alfera sont un écho fidèle de ces quelques mots adressés à l’un de ses amis par Fra Angelico :
Il n’y a rien de ce que je pourrais vous offrir que vous ne possédiez déjà, mais il y a beaucoup de chose que je ne puis donner mais que vous pouvez prendre.
Le ciel ne peut descendre jusqu’à nous, à moins que notre cœur n’y trouve aujourd’hui son repos. Prenez donc le ciel.
Il n’existe pas de paix dans l’avenir qui ne soit cachée dans le moment présent., prenez donc la paix.
L’obscurité du monde n’est qu’une ombre et cependant, à votre portée se trouve la joie. Il y a dans cette obscurité une splendeur et une joie ineffable si nous pouvions seulement les voir.
Et pour voir, vous n’avez donc qu’à regarder. Je vous prie donc de regarder.
L’art qui nous est présenté ici est une invite permanente au regard mais à un regard qui accepte d’abandonner pour un temps ses habitudes, qui ose aborder avec l’artiste une vision nouvelle de formes et de couleurs détachées du quotidien et cependant si vraies sous l’apparence devant laquelle nous sommes tentés de nous arrêter .
C’est à nous, alors, de ne pas céder au piège qui nous conduirait à ne voir dans ces huiles ou ces gravures que des compositions faciles. Une tentation habituelle quand le regard se fait distrait et passe sur les formes et les couleurs comme sur les êtres sans avoir le courage de s’arrêter pour donner à ces réalités une chance d’exister. Ces formes simples, dépouillées, ces couleurs épurées, sont au contraire le fruit d’un long cheminement exigeant patience et ténacité. Car ces oeuvres accordent, et c’est singulier, autant d’importance aux grands aplats colorés qu’à ces transitions modestes et cependant essentielles. Ce sont des frontières discrètes, ménagées entre des couleurs qui ne sont jamais confrontées brutalement, qui n’entrent en contact que par cette médiation. Une magnifique leçon de vie et de respect qui constitue pour celui qui accepte de s’y affronter une invitation permanente à rechercher ce qui reste caché sous des apparences bien souvent trompeuses.
C’est une invitation au voyage qui nous est adressée, voyage tout autant intérieur que découverte du monde sous une nouvelle lumière. C’est à chacun d’accepter le don qui lui est fait. Ce don est exigeant mais la voie nous est ouverte et notre liberté entière.
Paul Gauthier